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Affichage des articles du octobre, 2017

"Hiéroglyphe" de Charles Cros

J'ai trois fenêtres à ma chambre : L'amour, la mer, la mort, Sang vif, vert calme, violet. Ô femme, doux et lourd trésor ! Froids vitraux, odeurs d'ambre. La mer, la mort, l'amour, Ne sentir que ce qui me plaît... Femme, plus claire que le jour ! Par ce soir doré de septembre, La mort, l'amour, la mer, Me noyer dans l'oubli complet. Femme! femme! cercueil de chair !

"Le Soleil de l'Ame" de Jean Godard

Levez-vous, Soleil de mon âme, Votre clarté plus ne me luit ; Chassez mon froid par votre flamme, Par vos rais l'ombre de ma nuit. L'autre soleil est par trop sombre Et trop peu chauds sont ses rayons Pour de mon âme chasser l'ombre Et faire fondre ses glaçons. Mon Soleil, ne tardez plus guère D'éclairer à votre retour ; Sans votre divine lumière, Je ne vois que nuit en plein jour. Soleil, ma lumière et ma joie, Sans vous je chemine à faux pas ; Je choppe, je chais, je fourvoie Quand sur moi vous ne luisez pas. Lors une triste nuit allonge Un noir voile autour de mon coeur, En le donnant en proie au songe, Et le songe en proie à la peur. Le malin qui m'est adversaire Et qui me veut rendre confus Prend plus d'audace à me mal faire La nuit quand vous ne luisez plus. Mon Soleil, que votre ardeur fonde L'épais glaçon de mes ennuis ; Ô Soleil du Soleil du monde, Levez-vous, et chassez mes nuits.

"A la limite de la lumière et de l'ombre" de Odilon-Jean Périer

A la limite de la lumière et de l'ombre Je remue un trésor plus fuyant que le sable Je cherche ma chanson parmi les bruits du monde Je cherche mon amour au milieu des miracles Un poème commence où la voix s'est brisée Et je fais mon bonheur en dénouant tes mains Quand nous nous rencontrons au bord d'une journée Nouvelle, au bord de l'aube où le ciel nous rejoint

"Le baiser" de Germain Nouveau (1885)

Comme une ville qui s'allume Et que le vent achève d'embraser, Tout mon cœur brûle et se consume, J'ai soif, oh ! j'ai soif d'un baiser. Baiser de la bouche et des lèvres Où notre amour vient se poser, Plein de délices et de fièvres, Ah ! j'ai soif, j'ai soif d'un baiser ! Baiser multiplié que l'homme Ne pourra jamais épuiser, Ô toi, que tout mon être nomme, J'ai soif, oui, j'ai soif d'un baiser. Fruit doux où la lèvre s'amuse, Beau fruit qui rit de s'écraser, Qu'il se donne ou qu'il se refuse, Je veux vivre pour ce baiser. Baiser d'amour qui règne et sonne Au cœur battant à se briser, Qu'il se refuse ou qu'il se donne, Je veux mourir de ce baiser.

"Ce qui dure" de René-François Sully Prudhomme (1875)

Le présent se fait vide et triste, Ô mon amie, autour de nous ; Combien peu de passé subsiste ! Et ceux qui restent changent tous. Nous ne voyons plus sans envie Les yeux de vingt ans resplendir, Et combien sont déjà sans vie Des yeux qui nous ont vus grandir ! Que de jeunesse emporte l'heure, Qui n'en rapporte jamais rien ! Pourtant quelque chose demeure : Je t'aime avec mon cœur ancien, Mon vrai cœur, celui qui s'attache Et souffre depuis qu'il est né, Mon cœur d'enfant, le cœur sans tache Que ma mère m'avait donné ; Ce cœur où plus rien ne pénètre, D'où plus rien désormais ne sort ; Je t'aime avec ce que mon être A de plus fort contre la mort ; Et, s'il peut braver la mort même, Si le meilleur de l'homme est tel Que rien n'en périsse, je t'aime Avec ce que j'ai d'immortel.

"Pour toujours !" de François Coppée (1892)

L'espoir divin qu'à deux on parvient à former Et qu'à deux on partage, L'espoir d'aimer longtemps, d'aimer toujours, d'aimer Chaque jour davantage ; Le désir éternel, chimérique et touchant, Que les amants soupirent, A l'instant adorable où, tout en se cherchant, Leurs lèvres se respirent ; Ce désir décevant, ce cher espoir trompeur, Jamais nous n'en parlâmes ; Et je souffre de voir que nous en ayons peur, Bien qu'il soit dans nos âmes. Lorsque je te murmure, amant interrogé, Une douce réponse, C'est le mot : – Pour toujours ! – sur les lèvres que j'ai, Sans que je le prononce ; Et bien qu'un cher écho le dise dans ton cœur, Ton silence est le même, Alors que sur ton sein, me mourant de langueur, Je jure que je t'aime. Qu'importe le passé ? Qu'importe l'avenir ? La chose la meilleure, C'est croire que jamais elle ne doit finir, L'illusion d'une heure. Et quand je te dirai : – Pour toujours

"Hymne à la beauté" de Charles Baudelaire (1857)

Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abîme, Ô Beauté ! ton regard, infernal et divin, Verse confusément le bienfait et le crime, Et l'on peut pour cela te comparer au vin. Tu contiens dans ton oeil le couchant et l'aurore ; Tu répands des parfums comme un soir orageux ; Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore Qui font le héros lâche et l'enfant courageux. Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ? Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien ; Tu sèmes au hasard la joie et les désastres, Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien. Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques ; De tes bijoux l'Horreur n'est pas le moins charmant, Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques, Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement. L'éphémère ébloui vole vers toi, chandelle, Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau ! L'amoureux pantelant incliné sur sa belle A l'air d'un moribond caressant son tombeau. Que tu v

"Sonnet 132" de William Shakespeare

J’aime tes yeux, et eux, comme s’ils sympathisaient avec moi, en voyant ton cœur m’accabler de dédains, ils ont pris le noir, et, sous ce deuil adorable, ils jettent sur ma peine leur joli regard attendri. Et vraiment le rayon de soleil du matin ne sied pas mieux aux joues grises de l’Orient, et l’astre épanoui, qui annonce le soir, ne donne pas autant d’éclat à l’austère couchant Que ces deux yeux en deuil à ton visage. Oh ! puisse ton cœur aussi se mettre en deuil pour moi, puisque le deuil te va si bien ! Et puisse la pitié te parer tout entière ! Alors je jurerai qu’il n’y a de beauté que la brune, et qu’elles sont toutes laides celles qui n’ont pas ton teint.

"L'amour éternel" de Thierry Cabot (2011)

Ils s’enlaceront d’un lumineux geste, Elle et lui mêlés comme à l’or des anges, Et tous deux pareils aux claires mésanges Dont le vol s’échappe en un cri céleste. L’élan qui chez eux rira sans conteste, C’est l’amour joyau cueilli dans ses langes Où resplendiront les flammes étranges D’on ne sait quel bien que le cœur atteste. Et peut-être même, effaçant le doute, Les verra-t-on fous là-bas sur la route Attendrir le Ciel de leurs voix bien nées ; Et peut-être alors, au bout d’une heure ivre, Le temps voudra-t-il s’arrêter de vivre Pour qu’ils vivent loin des milliards d’années.

"Parlez-nous de la mort ..." de Khalil Gibran (1923)

Alors Almira  parla, disant :  nous voudrions maintenant vous questionner sur la mort. Et il dit: Vous voudriez connaître le secret de la mort. Mais comment le trouverez-vous sinon en le cherchant dans le cœur de la vie? La chouette dont les yeux faits pour la nuit sont aveugles au jour ne peut dévoiler le mystère de la lumière. Si vous voulez vraiment contempler l'esprit de la mort, ouvrez amplement votre cœur au corps de la vie. Car la vie et la mort sont un, de même que le fleuve et l'océan sont un. Dans la profondeur de vos espoirs et de vos désirs repose votre silencieuse connaissance de l'au-delà; Et tels des grains rêvant sous la neige, votre cœur rêve au printemps. Fiez-vous aux rêves, car en eux est cachée la porte de l'éternité. Votre peur de la mort n'est que le frisson du berger lorsqu'il se tient devant le roi dont la main va se poser sur lui pour l'honorer. Le berger ne se

"Philémon et Baucis" de Ovide (1er siècle)

Alors le fils de Saturne leur adresse ces bienveillantes paroles : « Vieillard, ami de la justice, et vous, femme digne d’un tel époux, parlez, quels sont vos vœux ? » Les deux vieillards confèrent un moment ensemble, et Philémon se faisant l’interprète de leurs communs souhaits : « Le ministère et la garde de vos autels, dit-il, voilà notre seule ambition ; et puisque notre vie s’est écoulée au sein de la concorde, puisse la même heure y mettre fin ! Puissé-je ne point voir le bûcher de mon épouse, puissé-je ne pas être déposé par elle dans le tombeau ». Leurs vœux furent exaucés ; ils conservèrent la garde du temple le reste de leur vie. Un jour que, chargés d’ans, et assis sur les degrés du temple, ils contaient à des voyageurs l’histoire de ces lieux, Baucis voit Philémon se couvrir de feuillage, Philémon voit Baucis se couvrir de rameaux ; déjà une froide écorce atteint leur visage et l’enveloppe par degrés. Tant qu’ils peuvent parler, ils échangent de tendres pa

"Métamorphose de Daphné en laurier" de Ovide (1er siècle)

À peine elle achevait cette prière, que ses membres s’engourdissent ; une écorce légère enveloppe son sein délicat ; ses cheveux verdissent en feuillage, ses bras s’allongent en rameaux ; ses pieds, naguère si rapides, prennent racine et s’attachent à la terre ; la cime d’un arbre couronne sa tête ; il ne reste plus d’elle-même que l’éclat de sa beauté passée. Apollon l’aime encore, et, pressant de sa main le nouvel arbre, il sent, sous l’écorce naissante, palpiter le cœur de Daphné. Il embrasse, au lieu de ses membres, de jeunes rameaux, et couvre l’arbre de baisers, que l’arbre semble repousser encore : « Ah ! dit-il, puisque tu ne peux devenir l’épouse d’Apollon, sois son arbre du moins : que désormais ton feuillage couronne et mes cheveux et ma lyre et mon carquois.

"Couleurs" de Federico Garcia Lorca

Au-dessus de Paris la lune est violette. Elle devient jaune dans les villes mortes. Il y a une lune verte dans toutes les légendes. Lune de toile d’araignée et de verrière brisée, et par-dessus les déserts elle est profonde et sanglante. Mais la lune blanche, la seule vraie lune, brille sur les calmes cimetières de villages.

"Je songe aux ciels marins" de Jean Moréas (1905)

Je songe aux ciels marins, à leurs couchants si doux, A l’écumante horreur d’une mer démontée, Au pêcheur dans sa barque, aux crabes dans leurs trous, A Néère aux yeux bleus, à Glaucus, à Protée. Je songe au vagabond supputant son chemin, Au vieillard sur le seuil de la cabane ancienne, Au bûcheron courbé, sa cognée à la main, A la ville, à ses bruits, à mon âme, à sa peine.

"Elle marche dans sa beauté" de George Gordon Byron (1814)

Elle marche dans sa beauté, semblable à la nuit des climats sans nuages et des cieux étoilés ; tout ce qu’ont de plus beau la lumière et l’ombre est réuni dans ses traits et dans ses yeux, brillant de ces molles et tendres clartés que refuse le ciel à la splendeur du jour. Une ombre de plus, un rayon de moins diminuerait de moitié cette grâce ineffable qui ondoie dans les tresses de sa noire chevelure, ou éclaire doucement ce visage où des pensées d’une sérénité suave disent combien est pure cette demeure, combien elle leur est chère. Et sur cette joue, et sur ce front si doux, si calme, si éloquent, ce sourire séduisant, ces teintes animées, annoncent des jours passés dans la vertu, une âme en paix avec tous, un cœur dont l’amour est innocent ! Trad. de Benjamin Laroche

"Sonnet 116" de William Shakespeare

N’apportons pas d’entraves au mariage de nos âmes loyales. Ce n’est pas de l’amour que l’amour qui change quand il voit un changement, et qui répond toujours à un pas en arrière par un pas en arrière. Oh ! non ! l’amour est un fanal permanent qui regarde les tempêtes sans être ébranlé par elles ; c’est l’étoile brillant pour toute barque errante, dont la valeur est inconnue de celui même qui en consulte la hauteur. L’amour n’est pas le jouet du Temps, bien que les lèvres et les joues roses soient dans le cercle de sa faux recourbée ; l’amour ne change pas avec les heures et les semaines éphémères, mais il reste immuable jusqu’au jour du jugement. Si ma vie dément jamais ce que je dis là, je n’ai jamais écrit, je n’ai jamais aimé.

"L'invitation au voyage" de Charles Baudelaire (1857)

Mon enfant, ma soeur, Songe à la douceur D'aller là-bas vivre ensemble ! Aimer à loisir, Aimer et mourir Au pays qui te ressemble ! Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes Si mystérieux De tes traîtres yeux, Brillant à travers leurs larmes. Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. Des meubles luisants, Polis par les ans, Décoreraient notre chambre ; Les plus rares fleurs Mêlant leurs odeurs Aux vagues senteurs de l'ambre, Les riches plafonds, Les miroirs profonds, La splendeur orientale, Tout y parlerait À l'âme en secret Sa douce langue natale. Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. Vois sur ces canaux Dormir ces vaisseaux Dont l'humeur est vagabonde ; C'est pour assouvir Ton moindre désir Qu'ils viennent du bout du monde. - Les soleils couchants Revêtent les champs, Les canaux, la ville entière, D'hyacinthe et d'or ; Le monde s'endort Dans une chaude lumièr