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Affichage des articles du septembre, 2020

"Paris at night" de Jacques Prévert (1946)

  Trois allumettes une à une allumées dans la nuit La première pour voir ton visage tout entier La seconde pour voir tes yeux La dernière pour voir ta bouche Et l'obscurité tout entière pour me rappeler tout cela En te serrant dans mes bras

"Le jardin" de Jacques Prévert (1946)

  Des milliers et des milliers d'années Ne sauraient suffire Pour dire La petite seconde d'éternité Où tu m'as embrassé Où je t'ai embrassée Un matin dans la lumière de l'hiver Au parc Montsouris à Paris À Paris Sur la terre La terre qui est un astre.

"Sables mouvants" de Jacques Prévert (1946)

  Démons et merveilles Vents et marées Au loin déjà la mer s’est retirée Et toi Comme une algue doucement caressée par le vent Dans les sables du lit tu remues en rêvant Démons et merveilles Vents et marées Au loin déjà la mer s’est retirée Mais dans tes yeux entrouverts Deux petites vagues sont restées Démons et merveilles Vents et marées Deux petites vagues pour me noyer.

"Alicante" de Jacques Prévert (1946)

  Une orange sur la table Ta robe sur le tapis Et toi dans mon lit Doux présent du présent Fraîcheur de la nuit Chaleur de ma vie.

"Nuit de neige" de Guy de Maupassant (1880)

  La grande plaine est blanche, immobile et sans voix. Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte. Mais on entend parfois, comme une morne plainte, Quelque chien sans abri qui hurle au coin d’un bois. Plus de chansons dans l’air, sous nos pieds plus de chaumes. L’hiver s’est abattu sur toute floraison ; Des arbres dépouillés dressent à l’horizon Leurs squelettes blanchis ainsi que des fantômes. La lune est large et pâle et semble se hâter. On dirait qu’elle a froid dans le grand ciel austère. De son morne regard elle parcourt la terre, Et, voyant tout désert, s’empresse à nous quitter. Et froids tombent sur nous les rayons qu’elle darde, Fantastiques lueurs qu’elle s’en va semant ; Et la neige s’éclaire au loin, sinistrement, Aux étranges reflets de la clarté blafarde. Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux ! Un vent glacé frissonne et court par les allées ; Eux, n’ayant plus l’asile ombragé des berceaux, Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées. D

"Les yeux d'Elsa" de Louis Aragon (1942)

   Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire J'ai vu tous les soleils y venir se mirer S'y jeter à mourir tous les désespérés Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent L'été taille la nue au tablier des anges Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée Sept glaives ont percé le prisme des couleurs Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche Par où se reproduit le miracle des Rois Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois Le manteau de Marie

"J'écris" de Anna de Noailles (1902)

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  J’écris pour que le jour où je ne serai plus On sache combien l’air et le plaisir m’ont plu, Et que mon livre porte à la foule future Combien j’aimais la vie et l’heureuse nature.   Attentive aux travaux des champs et des maisons J’ai marqué chaque jour la forme des saisons, Parce que l’eau, la terre et la montante flamme En nul endroit ne sont si belles qu’en mon âme.   J’ai dit ce que j’ai vu et ce que j’ai senti, D’un cœur pour qui le vrai ne fut point trop hardi, Et j’ai eu cette ardeur, par l’amour intimée, Pour être après la mort parfois encore aimée,   Et qu’un jeune homme alors lisant ce que j’écris, Sentant par moi son cœur ému, troublé, surpris, Ayant tout oublié des compagnes réelles, M’accueille dans son âme et me préfère à elles...

"Le bateau ivre" de Arthur Rimbaud (1871)

  Comme je descendais des Fleuves impassibles, Je ne me sentais plus guidé par les haleurs : Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs. J'étais insoucieux de tous les équipages, Porteur de blés flamands et de cotons anglais. Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais. Dans les clapotements furieux des marées, Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants, Je courrus ! Et les Péninsules démarrées N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants. La tempête a béni mes éveils maritimes. Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes, Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots ! Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures, L'eau verte pénétra ma coque de sapi

"L'isolement" de Alphonse de Lamartine (1820)

   Souvent sur la montagne, à l’ombre du vieux chêne, Au coucher du soleil, tristement je m’assieds ; Je promène au hasard mes regards sur la plaine, Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds. Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ; Il serpente et s’enfonce en un lointain obscur ; Là, le lac immobile étend ses eaux dormantes Où l’étoile du soir se lève dans l’azur. Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres Le crépuscule encor jette un dernier rayon ; Et le char vaporeux de la reine des ombres Monte et blanchit déjà les bords de l’horizon. Cependant, s’élançant de la flèche gothique, Un son religieux se répand dans les airs : Le voyageur s’arrête, et la cloche rustique Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts. Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente N’éprouve devant eux ni charme ni transports ; Je contemple la terre ainsi qu’une âme errante : Le soleil des vivants n’échauffe plus les morts. De colline en colline en vain portan

"L'amoureuse" de Paul Eluard (1926)

  Elle est debout sur mes paupières Et ses cheveux sont dans les miens, Elle a la forme de mes mains, Elle a la couleur de mes yeux, Elle s'engloutit dans mon ombre Comme une pierre sur le ciel. Elle a toujours les yeux ouverts Et ne me laisse pas dormir. Ses rêves en pleine lumière Font s'évaporer les soleils Me font rire, pleurer et rire, Parler sans avoir rien à dire.