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Affichage des articles du novembre, 2017

"Chants de Maldoror, 1" de Lautréamont (1874)

Sauver la vie à quelqu’un , que c’est beau  ! Et comme cette action rachète de fautes  ! L’homme aux lèvres de bronze , occupé jusque - là à l’arracher de la mort , regarde le jeune homme avec plus d’attention , et ses traits ne lui paraissent pas inconnus . Il se dit qu’entre l’asphyxié , aux cheveux blonds , et Holzer , il n’y a pas beaucoup de différence . Les voyez - vous comme ils s’embrassent avec effusion  ! N’importe  ! L’homme à la prunelle de jaspe tient à conserver l’apparence d’un rôle sévère . Sans rien dire , il prend son ami qu’il met en croupe , et le coursier s’éloigne au galop . Ô toi , Holzer , qui te croyais si raisonnable et si fort , n’as - tu pas vu , par ton exemple même , comme il est difficile , dans un accès de désespoir , de conserver le sang - froid dont tu te vantes . J’espère que tu ne me causeras plus un pareil chagrin , et moi , de m

"Aube" de Arthur Rimbaud (1886)

J’ai embrassé l’aube d’été. Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit. La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom. Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse. Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée au coq. A la grand’ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais. En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu son immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois. Au réveil il était midi.

"Narcisse" de Ovide (1er siècle)

Il dit, et dans son délire il revient considérer la même image ; ses larmes troublent la limpidité des eaux, et l’image s’efface dans leur cristal agité. Comme il la voit s’éloigner : « Où fuis-tu ? s’écrie Narcisse ; oh ! demeure, je t’en conjure : cruelle, n’abandonne pas ton amant. Ces traits que je ne puis toucher, laisse-moi les contempler, et ne refuse pas cet aliment à ma juste fureur ». Au milieu de ses plaintes, il déchire ses vêtements ; de ses bras d’albâtre il meurtrit sa poitrine nue qui se colore, sous les coups, d’une rougeur légère ; elle parut alors comme les fruits qui, rouges d’un côté, présentent de l’autre une blancheur éblouissante, ou comme la grappe qui, commençant à mûrir, se nuance de l’éclat de la pourpre. Aussitôt que son image meurtrie a reparu dans l’onde redevenue limpide, il n’en peut soutenir la vue ; semblable à la cire dorée qui fond en présence de la flamme légère, ou bien au givre du matin qui s’écoule aux premiers rayons du soleil