"Aux mânes de M. de Genonville" de Voltaire (1729)
Toi que le ciel jaloux ravit dans son printemps, Toi de qui je conserve un souvenir fidèle Vainqueur de la mort et du temps, Toi dont la perte, après dix ans, M’est encore affreuse et nouvelle ; Si tout n’est pas détruit, si sur les sombres bords Ce souffle si caché, cette faible étincelle, Cet esprit, le moteur et l’esclave du corps, Ce je ne sais quel sens qu’on nomme âme immortelle, Reste inconnu de nous, est vivant chez les morts ; S’il est vrai que tu sois, et si tu peux m’entendre, Ô mon cher Genonville, avec plaisir reçois Ces vers et ces soupirs que je donne à ta cendre, Monument d’un amour immortel comme toi. Il te souvient du temps où l’aimable Égérie, Dans les beaux jours de notre vie, Écoutait nos chansons, partageait nos ardeurs. Nous nous aimions tous trois ; la raison, la folie, L’amour, l’enchantement des plus tendres erreurs, Tout réunissait nos trois cœurs. Que nous étions heureux ! même cette indigence, Triste compagne des beaux jours, Ne put